AGOA: Exclusion du Cameroun et prémices américaines d’un divorce programmé
Quelques jours après l’annonce de
l’exclusion du Cameroun des accords de l’AGOA par les USA à partir de janvier
2020, je me suis retrouvé de façon hasardeuse au milieu d’une discussion chaude
entre 3 voisins sur les conséquences économiques de cette décision du président
Donald Trump dans une lettre adressée au congrès américain. Au sortir de cette
dernière, je me suis rendu compte que très peu de camerounais ont une
connaissance superficielle de l'AfricanGrowth and Opportunity Act (AGOA) adoptée dans les années 2000.
une politique d’ouverture géostratégique des USA en Afrique
L’adoption de l’AGOA avait pour but
de favoriser la promotion des exportations des produits conformes à des
normes définies par le Système de Préférences Généralisées sans paiement de
frais de douane des pays d’Afrique subsaharienne vers les États-Unis d’Amérique.
Officiellement, Elle est mise en œuvre aux fins de soutenir les efforts de développement
des partenaires africains (tel que le Cameroun) des États-Unis à travers des
réductions de frais douaniers. Au fil des années son budget est passé 29,3
milliards de dollars en 2000 à 104,6 milliards de dollars en 2008[1].
En réalité, cette progression de budget a concerné principalement le secteur
pétrolier. C’est ainsi que les livraisons du brut sont passées de 16,2
milliards de dollars en 2000 à 71,2 milliards en 2008[2]
Source: agoa.info |
Au Cameroun,
bien que cette loi aurait pu être une opportunité pour l’exportation des
produits locaux, elle s’est avérée être un avantage plus favorable aux
États-Unis. En effet, selon le rapport publié en mai 2005 du Bureau du
représentant au commerce des États-Unis, l’AGOA représentait un véritable
succès pour les échanges commerciaux entre les États-Unis et l’Afrique. En
2004, les exportations américaines en Afrique subsaharienne connaissent une
augmentation de 25 % par rapport à 2003, se chiffrant à 8,6 milliards ; 80
% de toutes les importations américaines concernaient principalement les
hydrocarbures. Les exportations camerounaises des produits agricoles et des
produits liés au textile ont été marginales et représentent moins de 10% des
échanges Cameroun-USA. Pendant longtemps, le pétrole brut est resté le principal
produit lié aux échanges commerciaux entre l’Afrique et les États-Unis dans le
cadre de l’AGOA. Parce que l’apprivoisement et le contrôle du pétrole et de ses
zones d’extraction définissent l’un des enjeux géostratégiques prioritaires de
la présence américaine, cette loi s’est avérée être un instrument géopolitique
pour préserver les intérêts américains en Afrique.
Selon
l’ambassade américaine au Cameroun, les échanges dans le cadre de l’AGOA entre
Washington et Yaoundé, s‘élèvent à quelque 212 milliards de francs CFA en 2018[3]
avec 90% d’exportation destiné au pétrole brut. En 2014 déjà, l’ancien ambassadeur
américain Janet Garvey dressait le constat selon lequel la balance est
défavorable au Cameroun qui n’a pas suffisamment profité de l’AGOA pour pénétrer
le marché américain. Dans le même ordre d’idée que S.M Garvey, plusieurs
analystes s’accordent sur le fait que l’impact de l’exclusion du Cameroun de
l’AGOA est à minimiser sur le plan économique et commercial. Mieux encore, pour
d’autres spécialistes, le Cameroun n’est pas encore suspendu tant que le
Congrès américain n’octroie pas son accord à la décision de Donald Trump.
Toutefois, cette situation nous amène à nous interroger sur l’opportunité que
peut présenter le maintien du Cameroun dans cet accord.
Opportunité perdue ou avantage stratégique ?
Partant de
l’hypothèse selon laquelle l’exclusion de l’AGOA n’aura pas des conséquences
probantes, ce fait d’actualité révèle néanmoins une autre réalité qui à mon
sens est à prendre en compte surtout par l’État camerounais : En 18 ans d’existence,
le Cameroun comme bon nombre d’États africains n’a pas pu saisir l’opportunité
de l’AGOA pour doper son taux d’exportation vers un marché américain estimé à 300
millions de consommateurs avec un segment spécifique d’afro-américains s’intéressant
de manière croissante aux créations et productions 100% africaines. Cette utilisation limitée de l’AGOA soulève
le problème de l’offre outre-Atlantique de biens et services des États
africains. en effet, les problèmes de carence stratégiques d’internationalisation
et de coopération, des faibles capacités techniques de marketing et mise en
marché des produits « made in Africa »,
le faible accompagnement public des entreprises locales et de l’entrepreneuriat
tant sur le plan national qu’international, le manque d’infrastructures
dédiées, le manque de centres d’intelligence stratégique africains, la
fragilité institutionnelle et une vision anticipative limitée des gouvernements
africains, sont les difficultés à surmonter pour accroître les échanges
commerciaux et booster les exportations camerounaises (africaines).
Il est de ce
fait impératif pour les États africains de mettre en place des dispositifs
stratégiques nationaux afin de profiter au mieux des opportunités existantes dans
les rapports interétatiques dans une logique anticipative et de projection de
puissance. L’enjeu étant de créer des richesses, assurer la mise en place des
institutions fiables et transparentes, améliorer le partenariat public-privée
dans la promotion des investissements extraterritoriaux stratégiques, favoriser
le développement participatif et inclusif intégrant toutes les composantes des
ressources humaines notamment celles de la diaspora.
18e sommet de l'AGOA à Abidjan du 4 au 6 Août 2019 |
A l’analyse
des chiffres de l’AGOA, les USA sont les principaux sinon les seuls gagnants de
ces accords au détriment des économies africaines. Dans les relations
internationales, la coopération gagnant-gagnant
entre les grandes puissances mondiales et les États africains ne pourra
être une réalité qu’à partir de moment où l’indice de bien-être humain et
l’indice de croissance économique et commerciale soutenue des États africains
seront en constante évolution. Cet argument est d’ailleurs relevé dans le livre
blanc portant sur le processus d’examen de l’AGOA en Afrique dans lequel les
USA reconnaissent que ces accords ne répondent pas aux besoins impérieux de
l’Afrique ainsi qu’à ses aspirations au développement[4].
Par ailleurs, il est important de noter que du fait ne pas accorder de
traitements préférentiels aux produits africains à fort potentiel compétitif en
l’occurrence le sucre, l’arachide, le tabac ou le thé, les USA entendent garder
un certain avantage économique de l’existence de cette loi.
Exclusion du Cameroun : un acte symbolique et politique
La décision de
Donald Trump d’exclure le Cameroun de l’AGOA est une sanction contre les violations de droits de
l’homme et les détentions extrajudiciaires commises par le gouvernement
Camerounais et ses forces de sécurité. En s’appuyant sur la section 104 du
texte de l’AGOA, permettant de priver un pays des bénéfices de la loi, le
président américain estime que le Cameroun n’a pas fait de progrès significatif
dans le domaine de la protection des droits de l’homme dans la crise
sécuritaire qui sévit dans les zones anglophones et le Nord du Cameroun. Cet
acte intervient quelques mois seulement après sa suspension de plusieurs
programmes d’assistance militaire estimés à environ 17 millions de dollars. Cette
succession de mesures prises par Washington à l’encontre de Yaoundé n’est donc pas
anodine et risque de ne pas s’arrêter si les préoccupations des USA ne trouvent
pas de réponses favorables conduisant à la résolution du conflit lié à la crise
anglophone.
Dans un tel contexte géostratégique,
nul doute que l’exclusion du Cameroun de l’AGOA, constitue une sonnette d’alarme,
un message politique et diplomatique adressé au pourvoir de Yaoundé. Malgré les
valses diplomatiques des parties semblant trouver des mesures d’apaisement, il
est aujourd’hui évident qu’il existe une tension palpable dans les rapports
USA/Cameroun. A tort ou à raison, l’escalade de cette tension pourra conduire à
la mise en œuvre des mesures plus restrictives économiquement et politiquement
de la part des USA.
Pourtant, s’il est important que la
résolution de la crise sécuritaire peut passer par les sanctions en cas de
violations des droits de l’homme, il faut aussi noter que l’État camerounais
n’est pas le seul acteur à sanctionner dans ce conflit asymétrique. La prise en
compte et la neutralisation des acteurs usant des méthodes non conventionnelles
sont à considérer par les USA.
Aussi, dans une logique
géopolitique, en prenant des dispositions politiques et socio-économiques répondant
aux besoins réels des populations et rapprochant les gouvernants des gouvernés,
il devient indispensable pour nos décideurs d’être assez prudents et stratégiquement
émancipés dans le but d’anticiper le jeu des différents acteurs nationaux et
internationaux pouvant avoir une influence certaine sur la situation précaire
que vit le Cameroun. L’expérience du Soudan est assez évocatrice du risque
couru lorsque se profile à l’horizon un particulier modus operandi venu
d’ailleurs.
[1]Tchengang Tchiengue L.D, « La géopolitique des
grandes puissances et l’émergence économique des États du Golfe de
Guinée : le cas du Cameroun », Mémoire de Master, Université Yaoundé
II, 2015
Merci
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