Je suis Bamoun : entre crise d’intégration et identité communautariste

 
https://www.europe1.fr/international/kenya-violents-affrontements-entre-groupes-kikuyu-et-luo-a-nairobi-3410693
   
De retour d’un voyage professionnel il y’a quelques semaines, en empruntant un taxi pour chez moi, j’apprenais par le taxi-man que Sangmélima (ville du Sud Cameroun) avait été encerclée par les forces du BIR suite aux violentes émeutes qui se sont déroulées durant la journée. Dans les commentaires relatant les faits, j’apprenais également que la présupposée cause de ce soulèvement populaire était lié à l’assassinat d’un moto–taximan par des présumés coupables d’origine ethnique Bamoun (groupe ethnique de l’Ouest Cameroun). En suivant les informations télévisées et regardant les vidéos sur les réseaux sociaux les jours d’après, je découvrais avec stupeur le degré de violence avec lequel les populations dites « autochtones » de Sangmélima saccagèrent les propriétés et commerces des ressortissants de l’Ouest Cameroun. Il s’en suivit une vague de déplacements de ces derniers se sentant en insécurité et sur leur propre territoire national. 

 Plusieurs jours après et suite aux multiples descentes effectuées par différentes personnalités politiques, administratives et traditionnelles, je ne saurais dire avec certitude quelles ont été les réelles raisons de ce degré de violence et de haine spontanée dans une ville réputée calme. Toutefois, un sentiment d’amertume demeure en voyant des camerounais, quoique bamouns, fuir leurs maisons, commerces, travail et études chassés par d’autres camerounais. 
   Est ce que ce sentiment a-t-il réellement disparu de mon être ? A cette question, j’ai encore en souvenirs les émeutes de 2008 et les villes mortes de 1990 durant lesquelles les ressortissants de l’Ouest et les anglophones étaient accusés par certaines élites politiques et administratives, d’être à l’origine de la crise qui secouait le pays, appelant ainsi à la haine et à la répression. Ces événements ne sont pas des cas isolés puisque à l’aube de l’indépendance du Cameroun, les Bassas en ont fait les frais pendant la période de maquis. 
  Beaucoup de jeunes ne pourront certainement pas se rappeler de ces circonstances sanglantes de l’histoire du Cameroun, mais les récents événements de Sangmelima nous rappellent avec froideur la problématique de l’intégration nationale au Cameroun. Aujourd’hui, plus qu’hier, le problème demeure : Comment construire une architecture d’unité pour le développement national dans un contexte de velléité de repli identitaire ? 
Commerces saccagés lors des émeutes de Sangmelima 


« Le peuple camerounais, fier de sa diversité culturelle et linguistique…constitue une seule et même nation »[1]


   Tout semblait pourtant bien préparé dés l’indépendance du Cameroun. En instaurant le parti unique en 1966, en interdisant tout type d’association à caractère ethnique en 1967 et en adoptant plusieurs mesures de « discrimination positive » (équilibre régional), le premier président du Cameroun pensait peut être avoir trouvé la solution idéale pour faciliter l’intégration des populations pour un développement harmonieux du nouvel État. Dans le temps, ces différentes mesures se sont avérées avoir un effet contraire, en entretenant les différents clivages ethniques. 
    Les élites régionales recrutées dans l’administration sur la base régionale plutôt que celle de la méritocratie n’ont pas toujours eu les qualifications adéquates pour répondre efficacement aux besoins en services publiques des populations dans son ensemble. En plus, la tendance a prouvé que quand bien même elles étaient censées représenter leur région d’origine auprès des institutions d’État, les intérêts de leur population n’étaient pas toujours pris en compte au détriment des intérêts égoïstes. 
    En outre, ces politiques dont le but était de renforcer l’intégration nationale, ont plutôt permis de cataloguer les citoyens en fonction de leur appartenance ethnique, ouvrant plus tard la porte à la manipulation politique avec l’argument ethnique pour décrédibiliser les adversaires politiques ou pour gagner les élections. Elle n’est pas nouvelle cette manipulation qui stigmatise une autre ethnie comme responsable de tous les maux menaçant l’épanouissement collectif. Lors de la colonisation, elle était un bon moyen utilisé par les colons pour diviser et maintenir les populations sous l’asservissement. 
  Malheureusement, en 2019, des personnalités politiques et des médias partisans continuent à se soumettre à cette forme de manipulation des consciences, entretenant des rivalités et tensions qui finissent par déboucher à la violence. Les élections présidentielles de 2018 ont permis en suffisance l’escalade de ces rivalités sous fond d’appartenance politique. Depuis lors, sur les réseaux sociaux, on ne manque pas de voir des personnes (parfois même des intellectuels de haut vol, longtemps considérés comme éclairés) postés des messages interposées appelant à la haine et à l’épuration ethnique. Pourtant, en se promenant dans plusieurs villes du Cameroun, lors de luttes virtuelles, on peut observer avec aisance que le vivre ensemble est une réalité du quotidien. L’hospitalité légendaire et l’acceptation de l’autre des camerounais sont reconnues par plus d’un. 
Montée Anne Rouge, Yaoundé. Photographie de Ndukong Bertrand sur Twitter

    En effet, l’enjeu de l’intégration nationale ne repose pas sur la résolution des différends ethniques pouvant exister mais sur les réponses socio-économiques pour réduire la pauvreté au Cameroun. Il s’agit de réduire les distances qui séparent la classe sociale bourgeoise (composée de l’élite dirigeante issue d’ethnies différentes) de la classe sociale pauvre réunissant de la masse populaire dont le niveau de vie diminue, créant ainsi des frustrations en mal d’expression. 

Pour une meilleure intégration socio-économique et politique des jeunes 

   Durant mes échanges avec le taxi-man et les passagers (il y avait deux personnes originaires du Sud), j’ai ressenti une profonde déception de ces citoyens vis-à-vis de leurs élus locaux. Comme bon nombre de Camerounais, le contexte de précarité dans lequel une grande partie de la population vit, crée des frustrations palpables dont une seule étincelle pourra tous faire exploser. D'ailleurs, ceux des casseurs interpellés à Sangmélima, mentionnaient leur ras-le-bol face à l’inactivisme et la marginalisation des pouvoirs publics et des autorités locales à leur endroit. L’insécurité grandissante, l’impunité, la corruption, les malversations financières, le népotisme, le manque de travail décent, l’exploitation abusive des terres sans retombées réelles sur la vie des populations ou sur le développement de leur localité, des politiques publiques inefficaces, sont autant de maux qui accroissent la distance entre la classe sociale élitiste et celle de la majorité. Ces maux ont en grande partie été l’origine de la crise anglophone et s’observent dans toutes les régions nationales où il ne tardera pas de voir l’irruption des mouvements d’humeur tels qu’à Sangmélima si rien n’est fait concrètement. 

Une répartition équitable des ressources matérielles et symboliques dans un processus de bonne gouvernance comme solution aux conflits ethniques 

    A considérer comme une opportunité pour le développement, les différences ethniques caractérisant la diversité culturelle et linguistique du Cameroun, sont un puissant levier pour un rayonnement sur la scène internationale et pour la promotion des connaissances et savoir-faire hétéroclites. Du moins, la différence ethnique ne saurait être un problème puisqu'on ne choisit pas son ethnie d’origine. L’appartenance à une ethnie n’est pas le résultat d’un calcul rationnel ou d’un choix intelligible. 
     Ainsi, la gestion efficace des conflits ethniques tout en se limitant pas à l’organisation des foires et festivals vantant la diversité culinaire et artistique des différentes régions, intègre les préoccupations socio-économiques à résoudre urgemment. La création d’un cadre socioprofessionnel favorisant une redistribution équitable des différentes ressources, reste un enjeu majeur dans lequel les populations pourront mieux appréhender l’intégration nationale. Elle devrait s’accompagner des mesures fiscales et de taxation plus favorable à l’auto-emploi et l’entrepreneuriat tout en appliquant la justice et le droit dans le but de rétablir la confiance des populations vis-à-vis des institutions étatiques. 
     Par ailleurs, la structuration politique de l’État devrait faciliter la participation de la jeunesse dans des activités politiques en permettant à celle-ci de jouer un rôle central dans l’élaboration et l’implémentation des politiques publiques dans leurs localités. Dans ce sens, l’État devrait mettre en place des dispositions et des espaces permettant l’implication de tous dans la gestion harmonieuse de la nation. 
    Le rôle que jouent les médias dans la société reste capital pour la communication et l’éducation des populations. Pour éviter l’expérience du Rwanda de 1994, il est important de peser l’impact de l’utilisation des allusions tribales et ethniques. De même, les manipulations politiques avec des stigmatisations ethniques peuvent conduire à des conséquences dévastatrices. D’ailleurs, la sensibilisation sur l’acceptation de l’autre devrait commencer dans nos familles par la déconstruction des perceptions dégradantes et négationnistes des autres ethnies entretenues de manière générale. 
     Au final, parce que ce qui s’est passé à Sangmelima pourrait arriver dans n’importe quelle localité du Cameroun et ce qui est arrivé aux bamouns pourraient arriver à n’importe quelle minorité ethnique, nous devons nous sentir interpeller et agir en conséquent. 
« La république n’est pas une fraction d’intérêts ethniques, religieux ou dynastiques. Pensons à ses pères fondateurs et aux générations futures. »  Siméon Roland Ekodo Mveng 




[1] Tiré du Préambule de la Constitution du Cameroun, 1976

Commentaires

  1. Content de te relire tinty tonton. Belle analyse de la situation du 237. Vivement que les autorités se resaissisent, que le Cameroun lambda attendrisse son cœur et que chacun regarde plus lin que le bout de son nez

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    1. Effectivement mon cher. Que de belles perspectives en vue si chacun se donne pour l’intérêt général. Content d’être revenu.

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  2. Jai aime parcourir tes écrits. Du courage mon frère. On aimerai qu'il beaucoup plus de ce genre. On est fatigué des gens qui accusent juste sans apporter de solutions. Merci.

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  3. Tu écris bien et de manière fluide. Dans ton rappel hisotrique des évènements de 1991 comme pour ceux de cette année tu as mis en avant l'échec des socio économique.
    Je suis oblige d'être contre ce point de vue les raisons évoquées par ces jeunes qui ont été encadrés par la police c'est de la diversion le témoignage du prefet de Sangmelima en 1991 nous donne indicatiosn Claires sur les circonstances des émautes et aujourd'hui Mr Fame a declare aux populations dites allogénes que s'ils votent rdpc leur sécurité sera garantie à Sangmelima.
    Le motif principal des émeutes est donc politique dans le sens d'obtention/conservation du pouvoir.
    Merci d'avoir apporté ta part de lumière à ce débat aucun citoyen ne doit rester neutre car en effet le problem principal c'est le pouvoir et la jouissance qui va avec.

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    1. Merci pour ce point de vue qui me permet d'analyser les circonstances sous un autre angle. Toutefois, même si le bas niveau de vie, la sous-éducation et la pauvreté sont considérés comme les causes fondamentales des conflits ethniques, il en demeure pas moins vrai que certaines élites locales instrumentalisent les clivages ethniques pour des intérêts électoralistes. L'article est justement de condamner cette manipulation politique et de pointer du doigt la recuperation politique des différends ethniques par la classe sociale élitiste dans une logique de conservation de leurs intérêts qu détriment de la majorité.

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  4. J'ai aimé ces écrits,merçi beaucoup M.Tchengang .Il temps que le Camerounais se rend compte de l'importance du vivre ensemble.

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    1. Bien le Merci. Effectivement, le vivre ensemble est la condition fondamentale pour espérer obtenir l’amélioration des conditions de vie des populations au Cameroun.

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  5. Enriching analysis.Thanks but I think that the problem is deep rooted in the political history of our country. However, peace is the overriding solution for sustainable national development.

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    1. Of course, ethnic conflicts in Cameroon have increased due to political games since colonization. However, the socio-economic situation exacerbates ethnic differences.

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  6. Tu nous manquait déjà trop, c'est avec un grand plaisir que je te relis. Les solutions proposées sont propres, limpides je veux dire portable même. La question du vivre ensemble pour moi n'est même pas le problème le vrai comme tu as dis c'est le manger ensemble, il n'a pas de partage du gâteau et quand ceux qui ne goûtent pas a ce gâteau réussissent qu'a même a retirer la tête on les jalouse ...

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    1. ahahahahahaha. Pour éviter les jalousies liées à la frustration et à la pauvreté, il faut partager équitablement le gâteau national.

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