Stabilité politique et enjeux des manifestations au Cameroun

Monument de la Réunification du Cameroun
Monument de la Réunification: Le symbole de l'unité du Cameroun et du rassemblement de tous les camerounais autour d'un même idéal. 


   Le 11 Mars 2019, le monde a été témoin de la décision du président algérien Abdelaziz Bouteflika de ne plus se représenter pour un 5e mandat présidentiel. Cette décision qui n’est réellement pas une surprise, est la conséquence d’une action spontanée des algériens d’outrepasser l’interdiction des manifestations en vigueur dans le pays depuis 2011 afin d’exprimer leur ras-le-bol face à une gouvernance jugée inefficace. 

  Bien que l’annonce du retrait du bientôt ex président algérien de la course à la présidentielle, marque un tournant décisif de la vie politique en Algérie, il serait prématuré d’envisager absolument un hypothétique progrès de la démocratie ou de prédire une certaine amélioration du niveau de vie des populations de ce pays composé de 42 millions d’habitants. Cependant, ce qui semble intéressant sur ce moment historique vécu par les algériens c’est la manière par laquelle le peuple a décidée d’exprimer un choix partagé par plus de sa majorité. Mieux encore, c’est la réaction de plusieurs camerounais sur les réseaux sociaux qui y voient et prophétisent les mêmes causes et conséquences que celles qui caractérisent désormais notre pays. 

  Si l’actualité politique camerounaise peut montrer des similitudes avec celle en Algérie précédant ces manifestations historiques, la situation au Cameroun s’avère pourtant plus complexe comme le résume ironiquement une expression devenue populaire dans cette partie de l'Afrique Centrale : « si on vous décrit le Cameroun et que vous comprenez, c’est qu’on vous a mal décrit »

    En effet, en janvier 2019 les camerounais ont assisté via les réseaux sociaux au saccage de leurs ambassades en Allemagne et en France ; comme conséquence présumée de la répression violente de certains opposants (membres du Mouvement pour la Renaissance du Cameroun MRC du Professeur Maurice Kamto) au régime, lors d’une manifestation interdite par les autorités locales. Puis s’en est suivie une série d’arrestations de plusieurs opposants et des personnes ayant posés des actes hostiles au gouvernement. Cette situation délicate s’ajoutant à la crise dite anglophone (qui contribue fortement au ralentissement de la croissance économique et contribue au déplacement de plus de 430 000 personnes depuis 2016)[1], semble être la résultante d'un contexte social qui subit peu à peu une profonde mutation. 

    La promotion de la démocratie depuis 1990 voit ainsi grandir une culture politique au sein des différentes classes de la société qu’il faut désormais prendre en compte dans la gouvernance publique au risque qu’elle ne remette en cause le rôle de l’État et le rapport qui existe entre les gouvernés et les gouvernants. 

L’État, garant de l’ordre public et protecteur des intérêts des collectivités 

   De manière simple, l’État peut être défini comme une forme d'organisation qu’un ensemble de personnes crée et lui donne le pouvoir de l’orienter et de le gérer pour que les intérêts, les droits et les libertés de tous soient garantis. En d’autres termes, il désigne un ensemble de personnes qui acceptent de s'imposer un ordre de façon souveraine et claire. La définition de l’État qui nous semble la plus adéquate pour clarifier l’actualité camerounaise, est celle de Max Weber qui affirme que c’est « une entreprise politique à caractère institutionnel lorsque et tant que sa direction administrative revendique avec succès, dans l’application de ses règlements, le monopole de la contrainte physique légitime sur un territoire donné »[2]. Par ses branches institutionnelles qui sont la justice, la police et l’armée, l’État a donc le monopole exclusif de la violence légitime et de fait, est le seul garant de la sécurité collective des personnes dont il a la responsabilité de protection. 

    La pertinence de la définition de Weber réside dans la compréhension du mot légitimité qui n’a pas été employé de manière anodine. En effet, la légitimité est définie comme le caractère de ce qui repose sur le droit et la justice. Elle implique « une autorité qui est fondée sur des bases juridiques ou sur des bases éthiques ou morales, et permet de recevoir le consentement des membres d'un groupe »[3]. Juridiquement, cela voudrait dire que l’État existe de droit pour faire valoir l’intérêt général. Sa légitimité lui est accordée par les gouvernés qui acceptent de lui concéder un peu de leur souveraineté pour assurer le respect des normes et la préservation du bien-être collectif. 

le Droit et la Justice sont les éléments sur lesquels repose l'existence de l'Etat moderne

    Dans la pratique, l’État est censé être la manifestation de la majorité de camerounais libres et conscients. Par résignation ou par choix, lors des dernières élections présidentielles, la plupart des camerounais ont accepté en la personne de l’actuel président, celui qui sera l’incarnation du pouvoir exécutif et ont adhéré à son mode de gouvernance. Le rapport existant dés lors entre l’État et le peuple se manifeste par un processus de contrôle social qui prend corps au travers des régulations (Constitution, Code pénal, Code du travail, décrets, arrêtés etc.) qui réglementent les interactions sociopolitiques. Ces régulations définissent ce qui doit être fait et ce qui ne doit pas être fait. De facto, une décision préfectorale interdisant une manifestation bien que pacifique est une forme de régulation de l’État pour assurer une cohésion sociale qui oblige une certaine obéissance de la part de tous les agents sociaux. Dans le cas contraire, ces derniers sont sujets à des sanctions prévues par la Loi ; et l’État doit jouer son rôle de garant de l’ordre public. 

    Cependant, la situation se complexifie lorsqu’une désobéissance civile est l’émanation d’une frustration grandissante liée à une restriction permanente par les autorités locales d’un droit reconnu et garantit par la constitution de 1996, modifiée par la loi N° 2008-1 du 14 Avril 2008[4]. Les manifestations sont une forme d’engagement politique supposant l’expression des convictions même si elles peuvent être motivées par des intérêts personnels. Vu sous cet angle, recourir aux méthodes restrictives ou à la violence est plus perçu comme un aveu d’échec ou un refus de dialogue. Ceci pouvant entraîner des conséquences bien plus graves. 

La manifestation civile comme forme d’expression et ressource politique 

   Contrairement à ce qui est véhiculé par les adeptes de l’autoritarisme, la légitimité d’un gouvernement n’exclut en aucun cas le droit qu’a tout citoyen de manifester. Au contraire il est censé être le symbole d’un régime politique démocratique qui favorise la liberté d’exprimer ses choix, voire la liberté d’influencer les politiques publiques. 

    Apparue pourtant avec l’avènement de la démocratie pluraliste au XIXe siècle la notion de manifestation traduit l’affirmation d’existence d’un groupe de personnes sur le plan politique. C’est un canal d’expression d’une collectivité prétextant une participation significative dans le jeu politique, au même titre que les élections. C’est également une forme de pression et de revendication populaire sur les gouvernants. Raison pour laquelle dans les sociétés plus anciennes que celles d’Afrique, la manifestation est reconnue et légalisée, lui octroyant ainsi un caractère banal et pacifique. 

    Dans cette optique, une manifestation ne saurait poser un problème à l’ordre public si elle est encadrée de manière légale et légitime. Vu sur cet angle, la répression violente de la marche blanche de janvier 2019 a été inadéquate dans la forme et dans le fond dans un contexte d’instabilité dans certaines régions du pays. Par ailleurs, cette manifestation aurait pu passer sans attirer l’attention des camerounais si au lieu de l’interdire, elle avait été encadrée de manière subtile. 
La manifestation est un droit constitutionnel pour tous les citoyens
Marche patriotique du 28 février 2015 à Yaoundé

    En effet, sur la base de la typologie des manifestations de Pierre Favre[5], la manifestation du MRC comme une forme « d’initiatrice » avait pour but d’augmenter la visibilité tout en imposant un agenda particulier sur la scène politique. C’est dans cette logique que, contrairement à ce qui avait été souhaité, les différentes sorties de diplomates des différentes puissances du monde commencent de plus en plus à prêter une attention particulière au Cameroun. Nul besoin de rappeler que le Cameroun est un enjeu géopolitique et géostratégique pour ces puissances qui ne lésineront pas sur les moyens pour satisfaire leurs intérêts dans le Golfe de Guinée. Il importe donc aux agents étatiques de mettre sur pied des stratégies pour qu’une crise sur le plan interne, aussi petite soit elle, ne serve pas d’étincelle à une intervention extérieure. 

   Aujourd’hui, pour une meilleure construction de l’État post moderne africain, il est indispensable pour nos dirigeants de dissocier la notion de turbulence ou de désordre à la notion de manifestation ou de rassemblement. En effet, une mauvaise perception de ces notions peut entraîner des conséquences irréversibles dans la gestion globale de la société. Le cas du printemps arable en 2011 est une parfaite illustration d’une manifestation qui a dégénéré en soulèvements populaires dans plusieurs pays. La crise libyenne en l’occurrence, est un exemple de mauvaise gestion des manifestations populaires par le gouvernement de Kadhafi qui a usé de la violence pour réprimer sa population (ce qui servira plus tard de prétexte à Nicolas Sarkozy pour intervenir en Libye sous mandat de l’ONU)[6]. 
L'intervention étrangère est née d'une série de manifestations mal gérée par le pouvoir en place
Le conseil de sécurité de l'ONU autorisant l'intervention militaire étrangère, à la suite d'une série de manifestations en Libye

     Il ne s’agit pas d’affirmer que les revendications du MRC sont des prétextes pour favoriser une main basse impérialistes des puissances mondiales ; mais de montrer que, tout comme la crise anglophone, cette situation a révélé des lacunes dans la gestion de crise du gouvernement ; qui si rien n’est fait, peuvent avoir un impact sur notre souveraineté. 

  En outre, en étant tous citoyens d’une même patrie (Kamerun), les partisans de l’opposition au même titre que les pro-gouvernements méritent d’être entendus et protégés. Quand le besoin se fait ressentir, ils méritent de recourir à leur droit de manifestation reconnu par la constitution. La construction d’un État émergeant tel que souhaitée passe aussi par la prise en compte des revendications et des aspirations de tous les Camerounais ; car une meilleure gestion étatique de la cité se traduisant comme la reconnaissance de tous de la légitimité d’un régime, est aussi la capacité de reconnaître ses failles et ses manquements par celui ci pour une constante amélioration. 

    L’État africain post moderne auquel nous aspirons, est appelé à se modeler à l’épreuve des circonstances, pour l’intérêt général et dans de limitations des frustrations et des inégalités sociales. Il est donc question de bâtir des institutions solides, justes et impartiales qui garantiront les libertés, les droits et les devoirs de tous sans préjugés. C’est ainsi que, dans cet ère complexifié l’assertion de l’ancien président américain Barack Obama « l’Afrique n’a pas besoin d’hommes forts mais d’institutions fortes» prend tout son sens. Afin pour nous de comprendre qu’autant que hier, aujourd’hui l’enjeu de l’État africain (de l’Algérie ou du Cameroun) reste de rassembler les différents peuples sous un même territoire avec les dispositions et les prétentions similaires. 

   Quoi qu’il en soit, face aux différentes crises qui secouent le Cameroun, il est impératif pour les dirigeants aujourd’hui d’y rétablir un climat de confiance entre les gouvernants et les gouvernés. Il est question de reconstruire sa légitimité psychologique auprès du peuple en posant des actions qui parlent plus que les discours ; assurer une justice sociale et garantir toutes les libertés à tous les citoyens tout en favorisant un dialogue franc et inclusif. Ainsi, accorder une meilleure considération aux différentes revendications des populations participera à casser les barrières tribales et à renforcer le sentiment d’appartenance à une même nation. En outre, la mise en place d’une architecture institutionnelle infaillible répondant aux besoins de tous les citoyens, le dialogue et la négociation restent des moyens efficaces de prise en compte des aspirations collectives pour anticiper sur les crises sociales pouvant aboutir à des terribles violences.

  Vu le contexte international, il est primordial qu’il soit intégré dans cette nouvelle architecture institutionnelle, des pôles d’expertise stratégique pour prévenir toute velléité d’extraversion. 

    Bien que les mêmes causes ne produisent pas toujours les mêmes effets qu’il s’agisse de l’Algérie ou du Cameroun, les aspirations des peuples sont universelles et doivent être pris en compte par les gouvernants. 








[2] Max Weber, Économie et société, 1921, p. 97

[3] https://fr.wikipedia.org/wiki/L%C3%A9gitimit%C3%A9

[4]La constitution du Cameroun consacre le principe de liberté d'expression et de réunion, à l’instar des manifestations. Elles sont régies par la loi n°90/055 du 19 décembre 1990, fixant le régime des réunions et des manifestations publiques et également par l'article 231 du Code Pénal.

[5] Favre Pierre, La Manifestation, Paris, Presses de la FNSP, 1990

[6] Consulter l’origine et la chronologie de la crise libyenne qui remontent en 2006-2007 sur https://www.lexpress.fr/actualite/monde/les-racines-de-la-revolte-en-libye_964731.html

Commentaires

  1. Intéressant Donald. Mention TB

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  2. Bon article Donald...chapeau. Je serais curieux de savoir comment tu entrevois les contours et prerequis d'un dialogue "franc et inclusif". Surtout l'aspect "franc", sachant qu'il faut une sorte d'arbitre ou de mediateur/modérateur entre les parties qui dialoguent (État, population, groupes armés etc.)...peut-être dans un autre article. 😉

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    1. Le dialogue franc et inclusif implique le rassemblement de toutes les composantes de la société c'est à dire les acteurs politiques, les responsables religieux, les leaders de la société civile, les universitaires etc. Et c'est de ce rassemblement qu'on pourra déterminer les acteurs qui seront modérateurs. Sinon, ton commentaire me donne déjà une idée sur ce que je pourrais analyser dans les prochains articles.

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  3. Très vrai du début jusqu'à la fin mais il y a des endroits où je n'épouse pas entièrement certaines idées sur l'affirmation de l'ex président des USA qui stipule " l'Afrique n'a pas besoin des hommes forts mais plutôt des institutions fortes" ...

    Quand je fais un tour dans le passé pour me renseigner comment nos ancêtres gouvernaient sans palabre je me dis qu'on ( les missionnaires) nous a trompé avec cette histoire de démocratie en Afrique qui ne marche pas pour beaucoup de pays et c'est pour que nos pays restent toujours dans la misère.



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    1. Merci beaucoup pour ton commentaire. Je comprend également ton point de vue sur la notion de démocratie en Afrique. Elle est une problématique qui alimentent les débats. Personnellement, plus que un produit exporté, je perçois la démocratie comme un mode de gestion qui permet la participation de tous. Elle n'est pas seulement un slogan de mode mais une culture managériale qui existent en Afrique depuis, dans les sociétés traditionnelles sous des formes diverses. Dans ce sens, les sociétés qui se reposent sur un homme ont tendance à se fragiliser dans le temps et à se disloquer. L'histoire nous parle de Alexandre le grand ou plus récemment de kadhafi en Libye.

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