le vote d’Eto’o : Élections et choix rationnel en politique
A la veille des élections présidentielles
qui ont eu lieu au Cameroun le 7 octobre 2018, l’on a pu observer, sur les réseaux
sociaux principalement, une recrudescence de polémiques sur le soutien de poids
des uns et autres accordés aux neuf candidats. Celle qui a accroché mon
attention de manière particulière était la polémique autour du concert organisé
par le parti au pouvoir regroupant 30 artistes pour soutenir leur candidat, président
depuis 36 ans. Mais le fait qui a fait beaucoup parlé et qui laissera forcément
des traces, est la déclaration du célèbre footballeur Samuel Eto’o annonçant
son total soutien au chef de l’État aux sorties d’une audience a lui accordée
par ce dernier.
Les
prises de position des internautes sur ce sujet a remis au devant de l’analyse,
la problématique des élections, des processus électoraux et de ses acteurs. Cette
problématique impose en filigrane l’analyse sociologique de l’électorat dans
chaque pays africain tout en déterminant les différentes motivations ou causes
des choix de cet électorat marqué par sa diversité culturelle, ethnique, de
classe sociale, linguistique et intellectuelle.
les élections comme élément catalyseur du processus de démocratisation en Afrique
En
2018, l’Afrique est théâtre d’environ 10 élections présidentielles qui
contribueront à modifier la carte politique du continent. Depuis plus de vingt
ans après l’instauration du pluralisme politique, il faut reconnaitre que la
plupart des États africain a réalisé des avancées dans le processus de
démocratisation et dans l’institutionnalisation des principes de bonne
gouvernance se traduisant par l’organisation systématique et régulière des élections.
De même, il est observé une fréquence croissante des alternances à la tête des
États.
Si l’on
admet que « les élections sont le
moyen ou le mécanisme par lequel le peuple peut se prononcer sur les individus
qui les représentent et s’exprimer sur des politiques différentes » : elles
peuvent être considérées comme des instruments de légitimation pour la société
vis-à-vis des personnes ou des institutions censées garantir le bien être de
l’ensemble. Dans les démocraties, « les
élections facilitent la transition
dans un cadre juridique du leadership d’un parti vers un autre d’une façon
structurée, compétitive et transparente ». C’est pourquoi en Afrique
depuis le début des années 1990, les élections sont devenues une occasion
particulière de la participation populaire au processus de gouvernance démocratique
des États.
Les
élections sont un élément central de l’analyse sociologique du rapport entre le
peuple et l’État. Elles constituent une grille d’analyse pertinente dans
l’étude et l’évaluation de la perception populaire de l’action étatique et des
motivations soutenant les choix rationnels ou non des citoyens dans la
détermination des gouvernants. Sous cet angle, l’analyse des facteurs qui
influencent le choix des électeurs contribue à comprendre les logiques de
gouvernance en Afrique et de déterminer les dynamiques qui fondent les
interactions entre les gouvernés et les gouvernants.
La
sortie de Samuel Eto’o a fait polémique non pas parce qu’il a usé de son droit
de liberté d’expression, d’exprimer librement son choix de vote, mais parce que
le célèbre footballeur incarne en Afrique et surtout au Cameroun, un emblème et
des valeurs. Sa carrière professionnelle et son parcours personnel suscitent
beaucoup de passions et renforcent les valeurs de travail acharné, de
persévérance et de réussite auprès d’un bas peuple en quête d’espérance et de
motivation. Le footballeur est adulé et respecté par ses compatriotes. Il
exerce une certaine influence au sein de la population et même au sein du
gouvernement. Toute sortie est scrutée à la loupe et susceptible d’avoir un
impact sur l’actualité médiatique nationale. Ainsi, son choix de vote en faveur
du président Paul Biya a été considéré comme une forme de trahison par beaucoup
qui considère celui ci en grande partie responsable de la précarité ambiante et
l’extrême pauvreté galopante au sein d’une population qui voyait en Eto’o ;
l’image de réussite partant d’un quartier très pauvre.
L’influence des célébrités sur les choix électoraux
Objectivement
l’acharnement à l’endroit de Samuel Eto’o était exagéré. Contrairement à ce
qu’on pense, l’activisme ou les prises de positions des personnalités publiques
ou des célébrités durant les élections présidentielles n’ont pas toujours créés
les résultats escomptés. En effet, l’émergence des célébrités sur la scène
politique est relativement récente en Afrique. Elle est étroitement liée au
processus de démocratisation et s’est surtout manifestée à partir de 2011
avec la multiplication des medias numériques
et l’utilisation des outils technologiques et informatiques accessibles à tous.
Dans
les faits, lors des élections présidentielles dernières aux USA, plusieurs
célébrités notamment Beyoncé et Madonna ont apporté leur soutien à Hillary
Clinton face à Donald Trump dans le but de pallier l’indifférence que suscitait
Clinton chez beaucoup de jeunes électeurs potentiels et des minorités. Cela n’a
pas empêché Trump de gagner les élections et devenir le 45e
président américain.
Soutien de poids de Jay-Z et beyoncé à Hillary Clinton |
Dans un
sondage de 2007, le Pew Research Center
a demandé aux personnes interrogées si elles seraient plus à même de voter pour
un candidat s’il était soutenu par Angelina Jolie, Bill Gates, Jon Stewart,
Kanye West ou Tiger Woods, par exemple. Entre 71% et 79% des sondés ont répondu
qu’un tel soutien ne ferait aucune différence sur leur vote. Par ailleurs, dans
une étude menée sur 800 étudiants en 2010, Michael Cobb a trouvé que le soutien
d’une célébrité n’avait, soit pas d’effet sur le score du candidat soutenu,
soit un effet négatif[1].
C’est dans cette logique qu’une
presse en ligne de l’université de Yale rapporte que la présence des célébrités
auprès d’un candidat n’est pas un gage de réussite.[2]
Elle est plus considérée comme un instrument de communication, un élément
constructif de l’image du candidat. Ainsi, « l’engagement d’une personnalité publique à la campagne électoral d’un
candidat peut pousser les potentiels électeurs à développer soit de la
sympathie soit du rejet en fonction de ce que cette célébrité représente ».
Dans ce cas, l’image du candidat selon la popularité et les valeurs qu’incarne
son soutien. Le soutien d’Oprah au candidat Barack Obama lors des primaires
démocrates de 2008, est une illustration parfaite.[3]
Il avait été estimé que le soutien d’Oprah
Winfrey a apporté plus de 1 million de votes à Barack Obama. Ce cas est l’un
des rares exemples d’un apport positif d’une célébrité à une élection
présidentielle.
En
somme, l’impact des célébrités se limite à attirer l’attention sur un candidat
et à mobiliser un plus grand nombre de présence lors des meetings politiques ou
campagnes électorales.
Dynamique du choix rationnel et constance socioculturelle des élections en Afrique
Il est
vrai que les analyses émises en amont se limitent à des travaux de recherches
occidentaux où la démocratie s’est implantée bien plus tôt qu’en Afrique. D’après
la dernière enquête de sociologie électorale du Centre de recherches politiques de Sciences Po (CEVIPOF), parue en
avril 2017 en France, ce sont les propositions et les idées des candidats qui
poussent les électeurs à faire leur choix (88% citent ce motif et 76% le citent
même en premier). Suivent, loin derrière, la personnalité des candidats (48% et
7%) et le rejet des autres candidats (31% et 10%)[4].
Les citoyens des États occidentaux sont suffisamment matures pour émettre des
choix rationnels sur la base des constats sociopolitiques et économiques dira
t-on.
Cependant
qu’il s’agisse du citoyen d’un pays européen, américain, asiatique ou africain,
les choix de vote sont motivés par des rationalités diverses[5].
L’électeur est un être social fonctionnant selon ses propres logiques, ses
appréhensions, sa perception du politique, sa culture et principalement son
intérêt. Dans ce sens, le vote « est
dès lors, le résultat d'un arbitrage qu'effectue l'électeur entre différentes
allégeances. Ainsi, le déterminant du vote peut être l'intérêt égoïste du
votant ou l'intérêt de la communauté nationale ».
En
Afrique, l’environnement socio culturel influence encore grandement les choix
de vote de l’électorat. Ces choix dépendent des appartenances ethniques,
religieuses et régionales. Le cas de la dernière élection présidentielle au
Nigeria, où le président Goodluck Jonathan a avoisiné les 90 % des suffrages
dans certains États du Sud, alors que son rival Muhammadu Buhari faisait de
même dans certains États du Nord, est une bonne illustration. Les élections en
Afrique des lors apparaissent être des sources de conflits latents ou ouverts
qui opposent deux ou plusieurs ethnies conduisant parfois à des affrontements
armés. La Cote d’Ivoire, le Gabon, la RCA, le Kenya et la RDC sont des exemples
qui ont marquées l’histoire du continent africain.
Aujourd’hui,
où la démocratisation des États africains est sur la bonne voie, il apparait
indispensable pour les populations de réévaluer les motivations qui influencent
leur choix électoral. L’élection présidentielle est certes une forme de
compétition qui oppose des programmes politiques. C’est une confrontation de projets
de société qui ne devrait pas déboucher sur des violents conflits physiques
alimentés par les différences ethno-tribales. Il est alors de notre devoir, [nous
membres d’une société africaine en pleine construction et en quête de repères
sur une scène internationale fondamentalement brutale] de pouvoir faire fi de
nos différences ethniques pour bâtir une architecture nationale de cohésion et
d’intégration nationale tout en favorisant l’unification panafricaine.
Dans
cette lancée il est également du devoir des partis politiques, des candidats
aux élections et aux personnages publiques d’éviter toute forme
d’instrumentalisation des velléités ethno-tribales et religieuses. Les
gouvernements africains et les institutions en charge de l’organisation des
élections dans l’optique de pacification et de stabilité doivent davantage
appuyer leurs actions sur la transparence, la justice et l’équité. L’avenir et le développement de nos États en
dépendent grandement.
La
démocratie supposant que le choix de vote de chaque citoyen célèbre ou non,
doive reposer sur des convictions politiques, elles mêmes fondées sur un calcul
de couts d’opportunité et la rationalité propre du potentiel électeur. L’acharnement
sur une personnalité publique ou sur un candidat ne contribuera qu’à exacerber
les tensions sans pour autant garantir la victoire à une élection
présidentielle. De même, il est de notre
responsabilité de préserver la paix et le vivre ensemble dans l’attente des résultats
dans un esprit de fair-play.
[2] TSALIKI, Liza, A. FRANGONIKOLOPOULOS, Christos,
HULIARAS, Asteris, « Transnational Celebrity Activism in Global Politics:
Changing the World? », YaleGlobal Online, 2011, URL https://yaleglobal.yale.edu/transnational-celebrit...
[3] “The Role of
Celebrity Endorsements in Politics: Oprah, Obama, and the 2008 Democratic
Primary” by Craig Garthwaite and Tim Moore, August 2008
[5] Il existe plusieurs
rationalités dont les plus essentielles selon plusieurs études en Sociologie et
Psychologique sont : la rationalité en finalité, la rationalité en valeur
et la rationalité affectuelle et émotionnelle
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