« La Chine : la route du bonheur »
Il y’a de cela quelques jours, en regardant le JT d’une chaîne nationale, mon attention a été attiré par un titre assez particulier, censé illustré le Forum sur la coopération Chine-Afrique (FOCAC) qui s’est déroulé les 3 et 4 septembre à Beijing : « La Chine : la route du bonheur ». Ce titre m’a fait réfléchir surtout que depuis plusieurs jours c’est avec grands bruits et tapages que nos dirigeants africains nous montrent qu’ils ont enfin trouvés l’itinéraire à suivre pour atteindre ce objectif salutaire pour tous les africains.
Selon le petit Robert, « le bonheur est un état de la conscience pleinement satisfaite ». C’est un sentiment de bien-être et de contentement. Pour certains c’est un construit émanant de la mise en commun d’ensemble d’éléments structurants pour une satisfaction complète. Pour d’autres (les croyants) le bonheur est une constance fondée sur la Foi en Dieu, la piété et la prière. Quelque soit l’angle de vue pour définir le bonheur, on est d’accord que c’est une finalité à atteindre, c’est le seuil maximal de développement des États. Ainsi, penser que la coopération entre l’Afrique et la Chine est la voie qui mène indubitablement au développement du continent noir, revient à affirmer qu’on vient d’être témoin à l’ouverture d’une nouvelle ère de rapports étatiques totalement bénéfiques pour chaque africain qu’importe son lieu de résidence (ou de survie).
Les retombées africaines de la géostratégie mondiale
En effet, depuis plusieurs jours presque toutes les chaines d’informations africaines relayent l’actualité du 7e forum de la coopération sino-africaine en mettant l’accent sur les opportunités de croissance et les retombées positives de cette coopération dont l’approche diffère grandement des rapports entre l’Afrique et l’Occident. C’est certainement pour cette raison que la presse occidentale n’a eu que des critiques envers cette « nouvelle forme de relations » qui se pose en obstacle à la quête d’hégémonie des puissances européennes, traditionnelles partenaires de l’Afrique.
Qu’en déplaise aux observateurs internationaux, l’activisme de la Chine en Afrique a certainement stimulé la croissance des économies africaines depuis plus de 10 ans. Les faits prouvent que la présence chinoise a favorisé une meilleure perception du continent noir. Elle a contribué à la hausse de la demande mondiale des matières premières exportées par les pays africains. Ces dix dernières années, la Chine a développé une politique volontariste et ambitieuse dans ses rapports avec les États africains. Selon l'agence Ecofin, les États africains ont bénéficié d'environ 140 milliards de dollars de prêts chinois depuis vingt ans à tel point qu'aujourd’hui le géant asiatique représente 14% du stock de dettes extérieures des pays subsahariens[1]. Cet activisme s'est révélé efficace pour réaliser rapidement des projets d’infrastructures de travaux publics et de transports. Ces capitaux prêtés constituent jusqu’à ce jour une contribution significative aux financements des grands chantiers surtout dans le respect du principe de non ingérence dans les affaires internes des États à contrario des pays occidentaux qui imposent des conditions des reformes à effectuer avant l’octroi de prêts et d’aides.
Source: Chinese Loans to Africa, SAIS China-Africa Research Initiative, 2017 |
Même si les occidentaux, anciens colonisateurs, qualifient le déferlement chinois sur l’Afrique de quatrième colonisation, il faut reconnaître que ce partenariat « gagnant-gagnant » entre la Chine et l’Afrique a une incidence positive sur les indices de croissance régionale. D’ailleurs depuis 2009, la Chine est devenue le premier partenaire commercial de l’Afrique.
La relativisation du partenariat gagnant-gagnant entre la Chine et l’Afrique
Cependant, les motivations qui sous-tendent le rapprochement de la Chine vers l’Afrique sont principalement pour satisfaire ses besoins en ressources naturelles (pétrole, minerais, bois, terres arables, gaz), pour trouver de nouveaux espaces commerciaux pour écouler les produits et également pour augmenter ses alliés dans un contexte de guerre géostratégique contre les USA. En effet, les échanges entre la Chine et l’Afrique sont estimés à quelque 220 milliards de dollars. En 2016, l'agence Moody's évalue à près de 2 500 les entreprises chinoises installées en Afrique. La Chine ambitionne de se positionner sur la scène internationale comme une puissance alternative face à son rival américain.
Toutefois, le véritable enjeu de cette coopération sino-africaine est de savoir comment les États africains comptent tirer profit au maximum de ce partenariat. Car bien qu’elle semble avoir des points positifs, le constat est qu’elle a un impact très limité sur l’épanouissement des africains car ne transformant pas fondamentalement la vie social et les économies africaines.
S’il est vrai que les chefs d’États africains au FOCAC ont manifesté leur besoin en financements pour l’industrialisation des entreprises locales et en transfert de compétences, il est important de noter que jusqu’à là les investissements chinois en Afrique ont mis en mal la concurrence locale. En effet, «les importations de produits chinois et l'activité chinoise en Afrique donnent aux investisseurs et aux consommateurs africains accès à des biens moins coûteux. Cependant la question de la concurrence chinoise sur les marchés domestiques et les marchés tiers est particulièrement prégnante sur un continent où les créations d'emplois formels restent très en-deçà des besoins »[2]. Même si les prix des produits chinois sont attractifs, l’émergence des entreprises locales sur le marché national et mondial devient très difficile. Il est juste de mentionner que la Chine a ouvert son marché national en accordant un traitement tarifaire préférentiel aux pays africains, mais de toute évidence, cette opportunité n’a pas eu d’impact sur les exportations africaines du fait d’une politique commerciale et économique obsolète ne favorisant pas suffisamment l’internationalisation de l’entrepreneuriat et de la créativité locale et par conséquent ne contribue pas à la croissance du taux d’emploi et la réduction de la pauvreté. Depuis 2002, le nombre de pauvres en Afrique est constant et est estimé à 390 millions de personnes[3] vivant dans l’extrême pauvreté. Cette situation peut s’expliquer par le fait que les entreprises chinoises présentes dans la plupart des États africains, utilisent très peu la main d’œuvre et l’expertise sur les chantiers de construction d’infrastructures.
En outre, Le Fonds monétaire international (FMI) met en garde un grand nombre de pays dont l'endettement s'est considérablement accru ces dernières années[4]. En fin 2017, la dette publique moyenne des États en Afrique subsaharienne a doublé en 5 ans et atteint les 57% du PIB. Le risque d’insolvabilité des États est énorme et peut être à l’origine d’une exploitation abusive des ressources naturelles comme forme de compensation. Le cas du Sri Lanka[5] est une illustration des potentielles conséquences d’une coopération basée sur l’endettement perpétuel.
En réalité tous ceci n’est pas nouveau pour l’observateur averti des jeux qui se font et défont sur la scène internationale. Aujourd’hui, pour le citoyen lambda d’un État africain que je suis, les chiffres sur la croissance macroéconomique de mon pays, le taux de croissance du PIB, l’évolution de la courbe commerciale nationale me sont totalement abstraits. Ce qui intéresse le jeune qui ne demande qu’à avoir de quoi subvenir aux besoins vitaux, aux besoins de médicaments de ses parents trop vieux pour travailler et au besoin de fonder une famille, c’est de savoir comment la coopération sino-africaine aura un impact sur son quotidien. Comment les gouvernants africains peuvent au mieux saisir l’opportunité de l’intérêt de la Chine pour créer de l’emploi et de la valeur ajoutée ? Comment l’apport de la Chine en Afrique peut résoudre les problèmes sociaux des africains ?
Malheureusement la route actuelle tracée par cette coopération de l’Afrique avec la Chine, ou même avec l’Occident est loin d’être la route du bonheur. Les problèmes de coût élevé de l’électricité (en plus des coupures régulières), du bas niveau de formation de la main d’œuvre locale, de rareté d’eau potable, d’accès très limité aux soins primaires de santé, de favoritisme, de corruption, de clientélisme sont autant d’obstacles à l’épanouissement des africains. Ces problèmes sont symptomatiques d’une gouvernance très peu axée sur l’intelligence stratégique. Car il ne suffit pas d’avoir des hôpitaux pour avoir la garantie de santé, de construire des routes pour assurer l’emploi des jeunes, d’investir d’énormes sommes d’argent dans l’économie nationale pour favoriser l’entrepreneuriat locale, de booster les exportations pour accélérer l’industrialisation nationale. Il est question de mettre sur pied des mécanismes de gestion efficace et effective des ressources matérielles et humaines pour un développement autocentré sur l’individu. La coopération entre la Chine et l’Afrique qui pourra nous faire bénéficier de 60 milliards de dollars les jours à venir, devrait donner l’opportunité aux États africains de réévaluer leurs politiques économiques pour user de manière efficace ces prêts qui alourdissent la dette publique. La tache les incombe à transformer l’environnement social et institutionnel pour favoriser la pleine satisfaction des besoins primaires des populations.
By Addissu Admas | Ethiopian Media Forum (EMF) |
Il est certes intéressant de nouer des partenariats gagnants dans les rapports internationaux mais il serait plus efficace de recentrer l’action étatique vers la résolution des problèmes directs des africains. L’Afrique est une opportunité géostratégique et géopolitique pour les puissances du monde. Son potentiel humain, économique et commercial reste insuffisamment exploité. «Vu sous l’angle commercial, l’Afrique est donc déjà un eldorado pour de nombreuses entreprises et le restera. Vu sous l’angle humain, l’Afrique est un continent où la souffrance et la misère continuent de croître»[6]. Ainsi, le rôle de chaque acteur étatique en Afrique est de pourvoir tirer son épingle du jeu et assurer l’intérêt général même pour les générations à venir. Cela passe également par la rationalisation de la dépense publique et de la dette extérieure.
Dans un contexte d’accroissement rapide de la dette publique des États africains, ceux ci se doivent être stratégiquement émancipés pour anticiper sur les logiques géopolitiques des puissances mondiales. Sinon le continent noir risque d’être témoin et l’objet de l’impérialisme chinois perpétuant un nouveau système de dépendance et de colonisation car bloquée dans son développement par le système de l’échange inégal.
Hommage au Pr. Samir Amin (03/09/1931-12/08/2018)
[1] Le Monde du 20 Juillet 2018
[2] Agnès Chevallier, RÉDACTION, Centre d'études prospectives et d'informations internationales, CEPII, PARIS, 2012
[3] Rapport Économique Sur l’Afrique, « évolution récente de la situation sociale en Afrique », 2017
[4]http://afrique.lepoint.fr/economie/vers-un-imperialisme-chinois-en-afrique-07-09-2018-2249414_2258.php?utm_term=Autofeed&utm_campaign=Echobox&utm_medium=Social&utm_source=Twitter&Echobox=1536327124#xtor=CS1-175-[Echobox]
[5] Je vous invite à lire “How China Got Sri Lanka to Cough Up a Port” de Maria Abi-Habib dans le New York Times, https://www.nytimes.com/2018/06/25/world/asia/china-sri-lanka-port.html
[6] Laurent Bigot dans https://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/06/08/oui-le-taux-de-pauvrete-en-afrique-recule-mais-le-nombre-de-pauvres-augmente_5140890_3212.html)
Bonne analyse et intéressantes recommandations. Faudrait aussi mettre l'accent sur les enjeux geostratégiques de ce partenariat Sino-Africain pour l'occident, d'où la diabolisation de ce sommet par ceux là qui ont plus à perdre. Et aussi les 60 milliards de dollars ne sont pas un prêt mais un don pour la relance de la construction de l'Afrique. Après la deuxième guerre mondiale, l'Europe a bénéficié d'une enveloppe de 100 milliards de dollars pour sa reconstruction, ils ont appelé ça le plan Marshall. Bonne continuation frangin. #AfricaRising.
RépondreSupprimerMerci Dr. Patrick. Effectivement j'aurai l'occasion d'écrire sur les enjeux géostratégiques des rapports sino-africaines. C'est un sujet assez vaste et pertinent pour y consacrer tout un article.
SupprimerMerci pour la précision de la nature des 60 milliards qui seront accordés aux Etats africains. Espérons que cette somme soit utilisée de manière rationnelle.
Très bon article. Si aujourd'hui cette coopération sino-afrique est sujette de vives polémiques, c'est aussi en partie qu'elle laisse présager un délaissement du peuple dans son bien etre au profit de ces dirigeants, nous leurs faisons des concessions sur nos terres cultivables. Il ya aussi un problème environnemental qui égratignures cette coopération avec des projets d'infrastructures qui ne respectent pas la norme écologique, le cas plus ressent c'est ce chemin de fer au Kenya qui va passer au milieu d'un parc national. En gros, je pense que nos dirigeants devraient faire en sorte que le peuple en bénéficie davantage de cette coopération. On loue beaucoup les avantages de cette coopération, mais on en devrait pas moins faire abstraction sur vices
RépondreSupprimerMerci pour la contribution. En effet, cette coopération a des revers qui peuvent avoir des conséquences néfastes sur la préservation de l'écosystème et sur l'activité agricole en Afrique. Allant dans ton sens, j'ai mentionné dans l'article le cas du Sri Lanka comme une illustration du coté sombre de cette coopération qui est en apparence meilleure.
SupprimerDonc nos dirigeants et nous citoyens, devront être suffisamment prudents et stratégiques dans nos rapports avec les partenaires extérieures.
Je salue le soutien incommensurable et même indéfectible de la Chine au chevet des états africains, c'est de bonne guerre, mais il a un aspect latent qui ne profitera que de notre inadvertance pour que le pire soit observé .N'oubliez surtout pas que l'objectif ultime de la Chine est d'éradiquer les africains sur leur propre continent afin d'y installer son peuple qui étouffe déjà sur son propre sol. J'en veux pour preuve les produits toxiques qu'ils mettent dans les aliments avant de les transporter vers l'Afrique, le riz fait à base du plastique, les saucissons fait à base des organismes humains pour ne citer que ceux-la. Nous nous devons d'observer une vigilance sans relâche vis à vis de ces chinois.
RépondreSupprimerExactement. l'objectif d'un tel article est d’éveiller et éduquer les consciences non seulement des dirigeants africains mais aussi des populations. Nous nous devons d’être prudents. En relations Internationales, les intérêts priment sur tout autre aspect des rapports. Le terme "c'est de bonne guerre" a réellement sa place.
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