“La criminalité mondialisée du médicament : enjeux de l’État moderne africain”
Le problème des médicaments contrefaits ou non certifiés cause d’énormes troubles à la santé des populations qu’au développement des États africains et doit être considéré comme un réel obstacle pour la construction d'une Afrique émergente.
Au fil
des années, la problématique des médicaments illicites prend de l’ampleur et
devient peu à peu un enjeu d’actualité pour le concert des pays. Si les grandes
puissances mondiales se sont déjà penchées sur le sujet pour apporter des
réponses préventives pour limiter les conséquences néfastes de la criminalité
des médicaments, l’Afrique peine encore à trouver des solutions adéquates pour
subjuguer ce fléau. Ainsi, du 21 au 23 juin 2018, a eu lieu le 19e forum
pharmaceutique international à Ouagadougou au Burkina Faso ayant pour thème « le
développement de l’industrie pharmaceutique et l’accès universel aux
médicaments de qualité en Afrique ». Au terme de ce forum qui a rassemblé
plus de 1200 participants, il a été recommandé de mettre l’accent sur la promotion
de la coopération Sud-Sud pour le développement de l'industrie pharmaceutique
africaine, tout en renforçant les échanges entre les centrales d'achat de
médicaments en Afrique.
En
effet, si nous avons longtemps considérés les médicaments pharmaceutiques comme
une voie salutaire pour la santé de l’homme, aujourd’hui nous devons comprendre
qu’ils apparaissent aussi comme des éléments de crimes plus redoutables pouvant
décimer des populations entières. Cette situation est devenue un enjeu
d'intérêt public mobilisant d'importants moyens humains et financiers de la
part de l’État car la mauvaise gestion de la sécurité sanitaire provoque des
conséquences irréversibles sur le plan social, économique et politique. Avec la
mondialisation caractérisée par les transferts croissants des produits divers,
le partage d’informations, la chute des barrières douanières et l’augmentation
du taux de pauvreté dans le monde, l’exposition permanente des êtres vivants à
la prolifération des produits contrefaits ou de contrebande liés à la
consommation, revêt un caractère transnational et implique non plus les acteurs
étatiques seulement mais aussi les grandes firmes internationales, les ONG et
les individus ici considérés comme entités des relations internationales.
Afrique : Terre de prédilection de la criminalité des médicaments
Nous
devons savoir que le problème des médicaments contrefaits ou non certifiés
cause d’énormes troubles à la santé des populations qu’au développement des
États africains. La criminalité liée à la fabrication, à la distribution et à
la vente de médicaments et de dispositifs médicaux falsifiés, souvent désignée
par le terme « criminalité pharmaceutique » est un fléau mondial aux
proportions inquiétantes, dont les répercussions sont les plus ressenties en
Afrique.
En
2012, selon l’Organisation mondiale de la santé (OMS), près de 100 000 décès
par an en Afrique, sont liés au commerce de médicaments contrefaits. Le groupe
de réflexion britannique International Policy Network estime que les
faux antituberculeux et antipaludiques sont à l’origine de 700 000 décès par an
dans le monde. Dans certaines régions d’Afrique, d’Asie et d’Amérique latine,
plus de 30 % des médicaments vendus sont des contrefaçons. Le phénomène va
grandissant avec l’essor des cabinets de délégués médicaux dont la source des
produits est parfois peu connue. La plupart des produits pharmaceutiques
importés proviennent de la Chine, l’Inde ou le Nigeria où le système de
régulation sanitaire et les laboratoires de recherches pharmaceutiques jouent à
peine leur rôle.
En 2009, il a été découvert qu’un sirop
contre la toux contenant de l'antigivre a provoqué la mort de 84 enfants au
Nigeria en un lap de temps. [1]
Le 20
janvier 2017, l’Organisation mondiale des douanes (OMD) et l’Institut
International de Recherche Anti-contrefaçon de Médicaments (IRACM) ont annoncé
les résultats de leur 4ème action commune de lutte contre les faux médicaments
sur le continent africain. Une saisie record de 113 millions de produits
pharmaceutiques illicites et potentiellement dangereux, a été réalisée dans le
cadre de l’Opération ACIM (Action against Counterfeit and Illicit Medicines).
L’ensemble de ces produits est estimé à 52 millions d’euros. En outre, Sur les
243 conteneurs maritimes inspectés, 150 contenaient des produits illicites ou
contrefaits. Le compteur des saisies effectuées lors des opérations conjointes
IRACM-OMD atteint désormais le chiffre dramatique de près de 900 millions de
médicaments contrefaits et illicites saisis aux frontières du continent.
Médicaments contrefaits : crime « rentable » contre l’humanité
Quelque
126 millions de médicaments falsifiés ou illicites ont été saisis lors de
l’opération menée entre le 5 et 14 septembre 2016 dans seize ports africains.
Sur les 243 conteneurs inspectés, 150 contenaient des produits non conformes.
75 % venaient d’Inde et 25 % de Chine. Le Nigeria (35 %) et le Bénin (26 %)
ressortent comme les deux principales portes d’entrée sur le continent.[2] Selon le World Economic Forum, le
business de la contrefaçon des médicaments rapporte plus que le trafic de
cannabis.
Cette
croissance rapide du fléau s'explique en partie par sa rentabilité, 10 à 25
fois supérieure à celle du trafic de la drogue. En outre, le chiffre d’affaires
généré par la contrefaçon de médicaments est estimé au minimum à 10 ou 15% du
marché pharmaceutique mondial, soit 100 à 150 milliards de dollars, voire 200
milliards. Ce phénomène prend de l’ampleur dû au fait que le commerce de faux
médicaments demeure largement impuni dans plusieurs pays.
Si rien
n’est fait, la prolifération de médicaments contrefaits, falsifiés ou de
qualité insuffisante s’avère être, d’ici quelques années, la forme de
criminalité la plus importante en Afrique devant les conflits armés et les
catastrophes naturelles.
Quelles solutions pour l’Afrique ?
Dans
son devoir régalien qui est de garantir le bien être de sa population et
d’assurer son épanouissement, l’État moderne africain devra mettre plus
d’accent sur la garantie de la sécurité sanitaire des populations. S’il est
notoire que les douanes africaines accordent plus d’importance aux recettes
liées à la fiscalité et aux taxes d’importations, il revient à ceux-ci de se
pencher davantage sur le contrôle de rigueur des produits entrants sur le
continent et principalement des médicaments et produits pharmaceutiques.
En
outre, en l’absence d’une réglementation détaillée en la matière, il revient
aux États africains de mettre sur pied tant sur le plan régional que sur le
plan national, des cadres juridiques clairs sanctionnant sévèrement toute type
d’activité liée aux médicaments illicites. En plus, il s’agit de résoudre le
problème de corruption qui gangrène les administrations publiques africaines.
En effet, certains distributeurs de médicaments sur l’étendu du territoire et
fournisseurs des réseaux illicites sont parfois complices des fonctionnaires
d'état qui en acceptant des pots de vins, laissent se développer le phénomène
sans prendre des mesures adéquates.
Toutefois,
la meilleure prévention contre les risques liés à la consommation des
médicaments illicites reste l’éducation des populations sur les dangers et les
conséquences de ces produits. Dans cette optique encore, le rôle de l’État en
Afrique reste primordial dans la sensibilisation des populations mais aussi
dans la création des unités nationales de fabrication de médicaments pour
palier au problème des coûts onéreux des produits pharmaceutiques mis en vente
dans les officines africaines. Encore faudrait il qu’il existe une réelle
volonté politique à faire bouger les choses.
[1] https://www.lemonde.fr/afrique/article/2017/01/20/l-afrique-face-a-l-invasion-de-faux-medicaments_5066332_3212.html
[2] http://sante.lefigaro.fr/actualite/2013/09/25/21301-medicaments-contrefaits-tuent-700000-personnes-par-an
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