crise de mariage entre l’individu et l’État en Afrique


     Le weekend passé, lors d’un bref séjour dans une localité urbaine de la région du Littoral, j’ai eu l’occasion d’échanger avec un motocycliste sur divers sujets de son quotidien et sur les élections présidentielles, pendant un long trajet sur une route non bitumée à la recherche du gaz domestique. Grande fut ma stupéfaction de me rendre compte que les réalités des populations de l’arrière pays sont différentes des populations de la capitale politique.  Le sentiment de sécurité (il existe environ 7 dimensions de la sécurité) et d’appartenance à la nation est relatif qu’il s’agisse du citoyen de la capitale politique ou du citoyen d’une collectivité territoriale périphérique. J’avoue avoir été profondément troublé pendant un long moment par les propos tranchés de ce jeune qui ne ressent que du mépris et de la haine vis-à-vis de l’autorité centrale et du pays qui l’a vu naître.
Face au radicalisme de cet individu, je me suis senti obligé de mener une analyse analogique des rapports entre l’État et les populations en Afrique. Au vu de l’actualité, j’ai vite fait de comprendre que l’État chez nous subit une crise. Même si depuis quelques années certains spécialistes des institutions internationales s’accordent à prédire un avenir radieux du continent se basant sur le taux d’investissements en croissance, la multiplication du nombre de programmes de réduction de la pauvreté dans lesquels sont inscrits plusieurs États africains et le PIB en évolution dans la plupart des pays, il demeure vrai que le citoyen, celui pour qui tout cela doit être fait, reste paradoxalement en marge de cette croissance « marketée »[1].

De l’État moderne à l’État en crise en Afrique


     En effet, la crise de l’État en Afrique se traduit par l’incapacité pour celui-ci de répondre effectivement aux besoins des populations. Cette crise se traduit sous plusieurs aspects relevant des rapports entre les gouvernements et les supposés administrés :
- Contrairement aux résultats des élections qui se font sur le continent, les gouvernements en Afrique ont perdu toute leur légitimité.  Les populations admettent de moins en moins l’autorité et la responsabilité d’un centre gouvernemental unique, disposant le monopole de la violence légitime. Ainsi, le taux d’abstention aux élections traduit une sanction politique des citoyens. Il manifeste une crise de légitimité des gouvernants auprès de l’électorat citoyenne qui trouve un moyen d’exprimer leur désaccord. Selon une enquête au Sénégal, il a été montré que le taux d’abstention lors du référendum du 20 mars 2016 était de près de 60%. « Il s’agit du plus fort taux d’abstention parmi les quatre référendums qui ont été organisés dans l’histoire politique du Sénégal». Aux élections présidentielles, le taux d’abstention était de 30% en 2007, de 48,42 % en 2012. La Guinée-Conakry pendant les présidentielles de 2003, a connu un taux avéré d’abstention de 90%.[2] Cette crise de confiance rompt le contrat social tel que décrit par Jean jacques Rousseau.
- Le fonctionnement de l’État en Afrique crée une crise d’identité au sein des populations. Ces derniers surtout ceux des zones reculés ont un sentiment d’appartenance très limité à une nation gérée par une entité étatique. Cette crise naît d’une prise en charge limitée des affaires locales et d’une participation citoyenne refreinée ou compressée. C’est ainsi que face à l’incapacité des appareils d’État à jouer leur rôle pleinement, les populations cèdent souvent à la tentation de se constituer en milices. Les cas des Kamajors en Sierra Leone, des Naparamas au Mozambique, des Maï-Maï en RDC ou encore des Murahelin au Soudan sont des parfaites illustrations. Aujourd’hui la présence politique et administrative de l’État comme processus d’étatisation des zones périphériques ne suffit plus pour susciter le sentiment d’appartenance et pour favoriser l’intégration nationale. Le développement économique local devient un enjeu prioritaire de l’intégration nationale.
- En effet, l’inégale distribution des bénéfices tirés des richesses nationales crée des frustrations et des velléités conflictuelles. Ceci pouvant expliquer le mépris et la haine développés au sein de la population à l’exemple de mon interlocuteur motocycliste susmentionné. La manière dont les pouvoirs gouvernementaux orientent la distribution des biens et des services au sein de la société, est sujette à controverse et à beaucoup de conflits en Afrique. Qu’il s’agisse de la RDC, du Nigeria, de la RCA, de Sierra Leone ou du Cameroun, le constat est le même : une grande partie de la population réclame une part du gâteau national qui réside entre les mains d’une minorité élitiste.

      Il est à noter que cette inégalité est aussi la cause de la création de zones d’instabilité qui conduit à l’émergence des bandes armées se substituant à l’État défaillant, pratiquant le banditisme ou la piraterie, ayant des prétextes politiques et des aspirations sécessionnistes. Par exemple, pendant plusieurs années au Nigeria, le manque de considération des multinationales pour le développement local et pour la préservation de l’environnement a contribué à accentuer la colère et l’animosité des populations du Delta du Niger (principalement les Ijaws), conduisant à la radicalisation et à la manifestation armée contre l’autorité fédérale et contre les entreprises étrangères.
Face à mon désarroi de ne pas avoir trouvé une bouteille de gaz domestique dans une localité de plus de 50.000 habitants, mon transporteur de l’occasion, a attiré mon attention sur l’abandon du devoir et l’abus de pourvoir des représentants de l’administration. Quand bien même l’État semble s’investir dans les affaires locales, la corruption se constitue en véritable élément de crise entre l’État et le citoyen. Qu’il s’agisse du trafic d’influence, appelé encore grande corruption, des pots de vin, du népotisme, des dessous de table, du favoritisme et des détournement de derniers publics, les pratiques de corruption contribuent à éloigner l’administration des administrés, à détériorer la confiance aux institutions étatiques et à détruire le sentiment d’unité et de cohésion sociale.  En 2017, selon Transparency International, le continent africain est la région la plus mal classée en matière de perception de la corruption selon l’indice IPC. Devant ces faits, il revient aux États africains de prendre les taureaux par les cornes le plus tôt pour éviter le chaos.

Pour une reformulation de l’État en Afrique axée sur l’individu


     Somme toute, ma brève expérience à l’arrière pays m’a rappelé brutalement la réalité de plusieurs africains. Contrairement aux spots publicitaires et aux propagandes diffusés à longueur de journée sur les chaines nationales, il reste beaucoup de choses à faire pour construire l’intégration nationale dans plusieurs États africains. Cette intégration est indispensable pour garantir une intégration continentale pour exister sur la scène internationale face à la domination des grandes puissances mondiales.
Les faits sont évidents : depuis l’établissement du contrat social, l’individu, cette plus petite unité de la société, reste au cœur de la formation, de l’organisation et du fonctionnement de l’État moderne. Il est la cause de la création de l’État, il est le sujet de l’État, il devrait demeurer l’objectif de l’État.
     Ce dernier est le catalyseur du plein épanouissement et de la satisfaction des besoins primaires des citoyens. Il doit être à l’écoute et au service de l’individu pour mieux adapter ses actions publiques. Il implique la refondation et la reformulation de l’organisation de l’État en Afrique. Antoine Raogo Sawadogo considère que la décentralisation constitue pour l’État africain postcolonial, un instrument privilégié de refondation et de réformations structurelles et institutionnelles[3]. Toutefois, Qu’il s’agisse de décentralisation, de fédéralisme, de déconcentration ou de régionalisation, l’enjeu devrait rester la satisfaction des besoins vitaux et la préservation du bien être de chaque citoyen.
Quelque soit la forme de l’État à adopter, le motocycliste d’une zone périphérique doit se sentir pris en considération et protégé par les autorités centrales, qu’il soit fier de participer à la gouvernance nationale. Son sentiment d’appartenance à une construction nationale doit être renforcé par l’État. Il tient « à la nécessité, pour les structures gouvernementales, d’élaborer des politiques capables d’atteindre l’ensemble de la population et de toucher la vie quotidienne du peuple ».[4]
     En outre, il est clair que l’impact de l’ultralibéralisme sur les économies locales et la présence des entreprises étrangères compliquent l’émergence des entreprises locales. Il revient donc à l’État de réduire le rythme de privatisation des entreprises nationales tout en promouvant l’entrepreneuriat et l’industrialisation des entreprises locales en allégeant les taxes et les impôts dédiés aux nationaux. La responsabilité sociétale des entreprises doit être intégrée dans les conditions d’investissements des multinationales. Chaque citoyen doit être l’acteur principal de la gouvernance et du développement local. Sa implique un mode de gestion partant du bas pour le haut (bottom-up).
     Au final, ma conversation avec ce motocycliste (peut être analphabète), m’a beaucoup aidé à comprendre que malgré tout, la jeune génération des africains sait ce qu’elle veut et développe un espoir inavoué d’assurer la gestion des affaires qui les concernent. Ils attendent juste la main tendue de ceux là qui gouvernent.











[1] Qui vient du mot anglais « market », signifiant marché.
[2] Dr Boubacar Kante Malick Diop, « Synthèse Des Résultats De L’étude Sur Les Principaux Déterminants Individuels De L’abstention Au Sénégal De 2000-2016», Avril 2017
[3] Raogo Antoine SAWADOGO, L'état africain face à la décentralisation: la chaussure sur la tête, Paris, Karthala, 2001.
[4]Agnès Pouillau, LA ‘BONNE’ GOUVERNANCE, DERNIER NÉ DES MODÈLES DE DÉVELOPPEMENT. Aperçu de la Mauritanie, Centre d’économie du développement Université Montesquieu-Bordeaux IV – France, P. 16





Commentaires

  1. Faut juste savoir tirer son épingle du jeu...le pb n est pas le partenaire mais la facon dont nous gerons les fruits du partenariat....

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  2. Là est justement l'enjeu pour assurer la préservation de l’intérêt général africain.

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