Elections 2020 et Boycott au Cameroun: Entre suicide et stratégie du MRC
Il y’ a quelques jours de cela, en rentrant d’une visite avec des amis, nous avons emprunté un carrefour où se déroulait un meeting politique en prélude aux élections législatives et municipales du 9 février 2020. Depuis le début de la campagne électorale, c’était la première fois pour moi d’assister à une mobilisation physique d’un parti politique en dehors des mobilisations virtuelles des réseaux sociaux. La scène qui s’offrait à moi me surpris grandement surtout quand sur les réseaux sociaux, on observe un nombre importants d’interventions sur des sujets politiques de notre pays. En réalité, mon impression est que la mobilisation des partis politiques pour l’élection de leurs élus locaux, reste marginale contrairement aux élections présidentielles d’Octobre 2018. Cette situation peut s’expliquer peut-être par des facteurs sociologiques et anthropologiques mais en me rappelant du sujet qui a constitué pendant longtemps le centre des débats politiques portant sur les élections sur presque toutes les plateformes de communication et d’informations, j’ai rapidement essayé de faire un lien.
Meeting du MRC aux élections présidentielles de 2018 |
En effet, après l’annonce du Professeur Maurice Kamto de la non participation du premier parti d’opposition du Cameroun MRC (Mouvement pour la Renaissance du Cameroun) aux élections législatives et municipales, on a observé un déferlement de réactions saluant ou critiquant cette décision dépendant du bord partisan. Cette décision qui était pour le moins inattendue, en étant le sujet principal dans les médias, a poussé les acteurs du paysage politique à redéfinir leurs stratégies politiques de conquête du pouvoir. Cependant, dans l’esprit de plusieurs camerounais, des questions demeurent cruciales : le boycott et l’appel au boycott auront ils un impact significatif sur le jeu et la participation politique au Cameroun ? Quel serait l’intérêt d’une telle décision pour ce parti disposant d’un certain aura sur le plan national, voire international ?
I- Définition de la perception du Boycott électoral
Pour comprendre pourquoi le choix du MRC de boycotter les élections à venir fait jaser dans le milieu politique, il importe de comprendre la notion de boycott en politique. Ainsi, Jean-Aimé Ndjock définit le boycott comme « une forme d’abstention volontaire, collective et publiquement concertée »[1]. Précisément il est compris comme une action d’un parti politique à renoncer volontairement à son droit de contester un scrutin (Smith, 2009). Il y a donc boycottage électoral lorsqu’un ou plusieurs partis d’opposition refusent publiquement de participer à une élection en guise de protestation (Beaulieu, 2004)[2]. Selon Emily Beaulieu, le boycott comprend non seulement le refus de participation mais aussi des initiatives de dissuasion de la masse à participer.
Contrairement aux arguments avancés dans certains médias se basant sur des interprétations fallacieuses du code pénal, le boycott électoral au même titre que le vote et la manifestation, constitue une forme d’expression citoyenne de la participation politique qui est censée influencer le fonctionnement du système politique.
Parce que le vote lors d’un suffrage universel confère à ceux qui exercent le pourvoir une certaine autorité légitime et une légalité d’autorité par le processus constitutionnel, le boycott ou l’abstention par contre est une stratégie utilisée par les citoyens lors des élections pour manifester leur mécontentement. C’est une opération d’illegitimation du pouvoir en place. Il constitue un levier politique déjà utilisé aux élections de 1991 et en 1992 durant les premières élections pluralistes au Cameroun. D’ailleurs, le boycott électoral n’est pas une spécialité Camerounaise, l’actualité politique en Guinée Conakry se prête au débat d’un éventuel boycott électoral des partis d’opposition des élections législatives et municipales du 15 février 2020.
Puisque l'élection est l'instrument de vérification de la représentativité[3] nécessitant une massive participation citoyenne, l’enjeu principal du boycott en politique est de remettre en question la légitimité des autorités et de marquer un désaccord envers la gouvernance publique ou le processus électoral.
II- Raisons et Motivations stratégiques des décisions de boycott
Tout a commencé le 1e décembre 2019. Le président du MRC annonçait le boycott électoral pour des raisons de vices de procédures et des manquements relevés dans le code électoral pouvant conduire à une fraude massive en faveur du parti au pourvoir. Par ailleurs, il dénonçait l’organisation des élections dans un contexte d’insécurité dans les deux régions anglophones du pays. Les jours qui ont suivi cette annonce surprise du Professeur Kamto, ont été étrangement marqués par une déferlante de critiques de ses adversaires politiques prédisaient la mort programmé du MRC. C’est un fait paradoxal car en principe, on se serait attendu à ce que cette annonce soit un sujet de réjouissance pour ces adversaires. Par la suite, les campagnes en faveur d’un boycott électoral massif menées par les pro-MRC sur les réseaux sociaux divisaient davantage les citoyens sur la posture à adopter aux élections à venir. Entre injures et menaces de divers camps politiques, il est devenu difficile pour les citoyens « neutres » d’analyser la scène politique camerounaise pour définir par quel meilleur moyen participer politiquement pour faire valoir son choix et ses aspirations.
Ce contexte m’a donc amené à questionner les raisons pouvant pousser à souscrire à l’option du boycott électoral surtout quand la majorité des citoyens semble être acquise à notre cause et surtout qu’on se rappelle des mobilisations exceptionnelles de 2018-2019 pour sensibiliser les populations à aller voter malgré l’existence du code électoral aujourd’hui contesté.
En effet, les expériences du boycott électoral dans le monde ont montré que les partis politiques adoptent cette stratégie soit pour masquer leurs faiblesses et limites à pourvoir disposer d’une représentativité importante suffisante à renverser le parti au pourvoir. Suivant cette logique, il serait risqué pour les boycotteurs de s’engager dans une compétition politique s’ils ne pensent pas disposer des ressources nécessaires pour mettre en œuvre leurs stratégies de séduction et pour constituer un contre-pouvoir politique. Le but étant de conserver sa popularité intacte tout en travaillant à étendre son influence et ses ressources. En outre, le boycott peut être utilisé pour discréditer la conduite, l’organisation et l’organe en charge des élections. Ainsi le but étant d’obtenir des reformes significatives du code et du processus électoral qu’ils jugent injustes et en défaveur de l’opposition.
« C’est en vue de « riposter » aux manœuvres de truquage « perpétrées par les tenants du pouvoir [que] les opposants africains ont trouvé la stratégie du boycott électoral » (Njock J.A).
Dans certains cas, ces deux facteurs explicatifs peuvent justifier simultanément le choix de boycott électoral des partis d’opposition principalement en Afrique. Toutefois, jusqu’à ce jour, on ne saurait déterminer avec certitude les raisons intrinsèques qui ont conduit à l’abstention et l’appel au boycott du MRC. A l’observation, on peut estimer que la participation du MRC aux élections présidentielles d’octobre 2018, conscient de ces imperfections électorales, s’explique par un désir de jauger leur poids électoral sur la scène politique nationale. Toutefois, ayant eu une idée de son poids politique, sa décision de boycott électoral implique une anticipation sur les éventuels conséquences de ce choix qui se veut rationnel.
III- Boycott électoral: Pour quels impacts ?
A quelques jours des élections du 9 février, même si la mobilisation des citoyens parait être timide dans l’ensemble, rien ne peut déterminer jusqu’ à présent si l’appel au boycott a été suivi et respecté par un plus grand nombre. Quoiqu’il en soit, cet appel au boycott présente des risques dans ce sens que le consensus établit sur l’idée des irrégularités dans le processus électoral ne conduit pas forcement au consensus d’action en faveur du boycott. Selon la théorie des incitations sélectives de Mancur Olson[4], les motivations d’actions d’individus d’un même groupe sont parfois différentes de l’action collective. Il ne suffit pas de partager un objectif commun et des moyens de l’atteindre pour susciter la participation de tous ses membres à une action collective. Pour que l’action collective soit le fait de tous les membres, il faudrait que chacun y trouve un avantage qui lui est propre. Donc pour que le boycott du MRC soit partagé par tous ses sympathisants et autres déçus du régime, il faudrait convaincre le potentiel électeur que le boycott lui est profitable en tant citoyen singulier d’une part et comme constituant d’un ensemble (la nation) d’autre part.
Pourtant empiriquement, de manière générale en Afrique il est prouvé que le boycott électoral influence de façon très limitée la conduite des élections et l’alternance au pouvoir. Pire, Il peut parfois remettre la crédibilité et la popularité des boycotteurs en question en leurs faisant perdre le soutien et le capital sympathie des militants et alliés politiques n’ayant pas la même certitude des résultats d’un boycott électoral. Cette décision du boycott peut aller jusqu’à détruire la cohésion du parti à long terme si les principaux leaders ne s’entendent pas sur la ligne de conduite à adopter par la suite. Le cas du SDF (Social Democratic Front) après 1992 est une parfaite illustration.
Cependant, dans des cas vraiment exceptionnels, la menace de boycott électoral peut mener à un succès pour le parti boycotteur. Parfois, cette menace peut pousser le régime à redéfinir le jeu électoral pour plus d’équité et de justice. Mais dans la plupart des cas, la probabilité de réussite du boycott électoral s’observe sur le long terme. En effet, les vices et manquements observés dans le processus électoral conduisant à un boycott, peuvent faire perdre la légitimité des élus et prouver aux partenaires internationaux la decrédibilisation des autorités en place. Au vu de leur apport pour le développement en Afrique particulièrement, ces partenaires internationaux peuvent exercer des pressions diverses pour que le pouvoir en place effectue des restructurations importantes dans la conduite des élections futures. Les élections présidentielles et législatives de 1996 au Ghana en sont une parfaite illustration. Reconnu comme tel par les observateurs internationaux et les différents partis d’opposition, le processus menant à ces élections avait connu une profonde amélioration comparé aux élections de 1992.
Cependant, dans ce cas où l’intervention des acteurs étrangers contribue à la réussite du boycott, il faudrait que ceux ci soient sûrs de leurs observations d’irrégularités et soient disposés à prendre des mesures de pression ou sanctions pour pousser les autorités à revoir leur position. Pour arriver à ce point, il faudrait que les intérêts des partis boycotteurs ne s’opposent pas à ceux des acteurs internationaux et que le pourvoir en place ne soit pas à mesure de contrecarrer les pressions de ces acteurs. Dans tous les cas, les visites du président du MRC aux USA et à Paris, tout comme le sursaut d’activisme de la diplomatie camerounaise tendent à prouver que ce boycott électoral peut avoir des effets importants sur l’avenir politique du pays. A ce jour, nul ne peut déterminer si les conséquences du boycott seront favorables ou non aux partis d’opposition mais il est clair que le citoyen reste le maître du jeu politique au Cameroun. Sa prise en compte objective des jeux et enjeux des acteurs politiques déterminera ses choix.
[1] Ndjock Jean-Aimé, «Le boycott électoral en Afrique subsaharienne », Mémoire de Maîtrise, Institut d’études politiques de Lyon, 1999, p.9
[3] Gaxie Daniel, La Démocratie représentative, 2000, P.35
[4]Mancur Olson, La logique de l’action collective, (1966), Trad. Paris, 1978
Analyse tres pertinente.
RépondreSupprimerJe pense que le boycott du MRC reste sans aucun doute raisonable. Quand je lis le code electoral, il ya encore beaucoup de manquement. Ya encore beaucoup de point a soulever pour que le jeu democratique soit credible.
Je me sens honoré, Bien le merci.
SupprimerJe pense également que la décision du boycott a été soumis à réflexion par les leaders du MRC avant adoption. Elle obéit certainement à une stratégie du parti. Certainement le code et le processus électoral sont à améliorer. Mais dans les faits, les simples citoyens qui ne maîtrisent pas l'agenda stratégique du MRC, perçoivent cette décision comme contradictoire aux actions jusqu'à ici posées par le parti. Ce flou risque d'entraver la crédibilité du MRC dans son combat si une forte sensibilisation n'est pas faite.
C'est curieux que ce soit aujourd'hui que l'on soulève la question de la crédibilité du code électoral sur lequel se sont appuyées les élections présdentielles de 2018 et dont le MRC comme tout autre parti politique qui y prenait part en avait pleinement conscience. Je ne me fais pas d'illusion quant à l'issue des choses. Qu'il me soit prouvé qu'il y a intérêt pour moi individu lambda à m'abstenir alors qu'au finish il faudra bien que la commune dans laquelle je réside ait un Maire et que je m'implique pleinement d'une manière ou d'une autre au développement de ma cité à l'heure où la décentralisation connaît une accélération particulière ... En attendant une décision prise quelqu'elle soit aura un impact sur au moins cinq ans ...
RépondreSupprimerMerci à l'auteur de la note pour une analyse pertinente qui nous donne matière à réflexion pour une prise de décision conséquente à moins d'une semaine des échéances électorales.
Dieu bénisse le Cameroun ...
Merci pour votre commentaire. Aujourd'hui la question qui se pose est de savoir quelle action mener comme participation politique pour contribuer au développement de ma cité. Qu'il s'agisse du vote ou du boycott, chaque citoyen doit connaitre ce qui impliquera son choix dans le court et long terme.
SupprimerAdmirateur du président du MRC je continue a m'interroger sur cette décision. Pourquoi s'interroger sur le code électoral alors qu'il était aux élections présidentielles jusqu'à revendiquer la victoire.
RépondreSupprimerComme il prêtent avoir gagné en 2018 avec le même code du coup il pourrait donc gagner les législatives et municipales ...
Mon soucis que la paix revienne
C'est également notre soucis, que la paix règne au Cameroun. Ma petite expérience d'analyse du jeu politique dans plusieurs pays, m'a fait comprendre que les acteurs de ce jeu peuvent adopter des positions contraires mais l'objectif principal ne change pas : Assurer le contrôle du pouvoir exécutif.
Supprimer